EPILOGUE -22

Publié le par lambersart-yvon cousin

J'arrête ici mon récit. J'ai tenté de retracer factuellement des moments marquants de ma vie tout en ayant conscience que je n'ai pas tout dit.Tout simplement parce que certains faits ne se sont pas présentés au moment où j'écrivais. Mes enfants et petits enfants trouveront quand même ici l'essentiel, d'une vie somme toute ordinaire .

Aujourd'hui, je m'interroge. Comment conclure? Pas facile! Je ne me crois ni assez important pour dresser mon panégyrique ni assez prétentieux pour philosopher. Heureusement , une image vient de se présenter, je la capte vite. Je me vois sur un long chemin qui traverse une plaine bornée par deux forêts. Ce chemin symbolise certainement sans originalité le chemin de ma vie . Derrière moi, dans le bois touffu, se cache probablement le prodigieux phénomène de ma naissance et au loin devant , se voile le mystère de mon futur. Ma mort .

La mort.. Jusqu'à il y a peu de temps, je ne m'en souciais pas ; aujourd'hui, l'idée m'effleure . Pas de doute, le chemin qu'il me reste à faire est plus court que celui que j'ai parcouru depuis quatre vingt deux ans! Je m'en fais une raison faisant mienne cette idée de Sénèque que ce qui compte dans la vie, ce n'est pas sa longueur mais sa valeur. Que vaut la mienne ?           

Du passé surgissent des figures, des lieux , des idées et des sentiments qui se présentent en formes évanescentes.Des membres de ma famille décédés me sourient. Se lèvent aussi des visages d'amis, de collègues, ou d'assistantes que j'ai appréciés plus que d'autres ou qui méritent ma gratitude: Daniel hélas décédé, Maurice, Bernard, Jean Marie , Jean Louis, Jocelyne , Marie Agnès ...
Le château d'Agon-Coutainville et la salle du réveil de la clinique après mon quadruple pontage coronarien se rappellent aussi à mon souvenir. Certaines réunions houleuses de conseils de quartiers ou l'occupation de la mairie par une centaine de sans-papiers réapparaissent . Je la revois aussi cette maman de trois enfants , abandonnée lâchement, pleurant dans mon bureau à la veille d'être expulsée de son logement et, je distingue encore plus loin la sinistre salle de classe du lycée où je passais l'oral du baccalauréat. Soudain,en une seconde, voilà que je ressens la peine que j'ai éprouvée quand en conseil municipal des élus que j'appréciais m'ont abandonné en se laissant souiller par la manigance et l'intrigue. Mais, par bonheur, je vibre encore au sauvetage « héroïque » de ma cousine Jeanne Marie qui venait de tomber dans la becque à la Chapelle d'Armentières et je revis de nouveau la fierté que j'ai éprouvée lors de la cérémonie de ma promotion dans l'Ordre National du Mérite. Toutes ces images surgissent de façon inattendue et de manière incohérente sans que je puisse les contrôler.

Devant moi, c'est l'avenir. Sur le chemin se révèlent des bonheurs personnels et des joies familiales mais aussi des infortunes et des douleurs . J'y vois mon corps s'abîmer physiquement . Il y a des années qui comptent double! disait mon oncle Georges . Car, le temps est proche sinon déjà arrivé où il me faudra hiérarchiser , sélectionner et sans concession m'introspecter .Là, je serai face à moi-même. Il, sera temps de faire le tour de moi-même comme nous l'a seriné une chanson pendant tout un été. Il est surtout terminé le temps où fanfaronnant je citais Caligula en affirmant «qu'il m'est indifférent de dormir ou de rester éveillé si je n'ai pas d'action sur l'ordre de ce monde». Quel prétentieux j'étais , même si j'étais conscient de ma petitesse!

Aujourd'hui, assagi et descendu de la scène publique, je me limite à quelques reflexions avec ceux qui veulent bien m'écouter .

La mort . ?.. Pourvu que je vive jusque là ! écrivait avec humour l'académicien Jean Paulhand et Woody Allen d'ajouter Ce n'est pas que j'ai peur de mourir mais j'aimerais autant ne pas être là quand ça arrivera. Plaisanterie mise à part, il n'y a pas si longtemps que j'ai compris que , contrairement à nous, les Anciens,- Grecs et Romains -, se préparaient à la mort durant toute leur vie et que leur trépas était l'ultime moment où , « arrivant au port », il fallait se sublimer . Socrate , condamné à mort, et Sénèque  poussé au suicide, ont eu des morts admirables , l'un refusant même de s'enfuir comme on le lui suggérait, l'autre continuant à philosopher pendant sa longue et douloureuse agonie. Aujourd'hui , la mort ,pour la majorité d'entre nous et malgré les exhortations dans la Bible , n'est plus une préoccupation quotidienne . Certes l'Eglise nous redit la fragilité de la vie à chaque messe de funérailles. «Tenez -vous prêts ! » nous rappellent les apôtres Matthieu et Luc. Comment s'y préparer alors ? Platon conseillait de philosopher pour apprendre à mourir » . Soit . J'ai bien lu quelques philosophes , stoïciens, épicuriens, sophistes … mais je dois avouer qur je reste dans l'expectative .

Je m'accroche donc à la vie espérant vivre dans le meilleur monde possible. Je suis donc heureux de pouvoir bénéficier des centaines de progrès techniques que m'offre ce monde ; heureux de vivre en paix depuis soixante quinze ans ; heureux de vivre à une époque qui a engendré des hommes et des femmes admirables ; mais hélas, et sans même oser regarder en face les misères et les horreurs du monde ; je suis angoissé devant la décadence de la civilisation occidentale et de la France en particulier. Rien ne va plus. Le pays semble ingouvernable : bêtise, irrespect ,inculture ,inégalité, violence, corruption, égoïsme sont quotidiens . Pour parodier un proverbe américain, je dirai que l'homme, devenu tout puissant a tout amélioré ...sauf l'homme . Dans le domaine qui fut longtemps le mien – l'Éducation - bon indicateur de la santé des peuples - , je crois qu'on est revenu au Ve siècle avt J.C quand Platon écrivait :

Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles; lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves  et préfèrent les flatter; lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au dessus d'eux l'autorité de rien et de personne; alors c'est là en toute beauté et en toute jeunesse , le début de la tyrannie «

Alors , que faire?                                                                         

Photo I. Soulard

        

Toute réflexion faite, toute expérience vécue, je crois sincèrement que le salut collectif tient en deux principes, en deux règles qu'il faut réhabiliter:

LA RESPONSABILITÉ et L'ÉDUCATION ,

L'une et l'autre se confortent souvent. La responsabilité ne doit-elle pas aussi s'apprendre à l'école ? Il faut les réhabiliter sans attendre car plusieurs générations seront nécessaires pour en voir les effets puisque leur mise en œuvre demandera beaucoup de volonté politique, d'intelligence, de patience, de conviction,de mesure, de turbulences aussi .

La Responsabilité :

Dans «Terre des Hommes» Saint-Exupéry a bien noté qu' «Être homme c'est précisément être responsable. C'est connaître la honte en face d'une misère qui ne semble pas dépendre de soi. C'est être fier d'une victoire que les camarades ont remportée. C'est sentir en posant sa pierre que l'on contribue à bâtir le monde».

Quant à l'Éducation,j'entends par là l' éducation morale coiffant les savoirs et connaissances acquises , n'est-ce pas le pouvoir le plus puissant pour changer le monde ? Tous, individus, familles, écoles, groupes, institutions (y compris l'Eglise et la presse), villes, Etat... tous, nous en sommes garants Tous, nous devons y contribuer,en sachant que la coordination de cette multitude d' acteurs est une œuvre immense . Je ne peux évidemment l'examiner seul et en quelques lignes.

Il me reste alors à me rappeler souvent et à mettre en pratique le choix du colibri dans le célèbre conte améridien . Je vous le livre ici pour vous préciser que les derniers mots me sont chers. C'est pourquoi je les laisse terminer mon récit.

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : "Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !"Et le colibri lui répondit : "Je le sais, mais je fais ma part."

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article